Une Dragonne volatile
Au
cœur du premier âge, alors que l’Horloge de Xélor n’avait pas même été
rêvée, que les dates n’existaient pas, les puissants dragons étaient
les spectateurs privilégiés de l’éveil du Monde. Puissants, ils
l’étaient, pour sûr, mais tous n’étaient pas égaux en pouvoirs. De fait,
en dépit de leur incommensurable sagesse, les dragons étaient sujets
aux rivalités, et à l’ambition.
Plus que nul autre, une célèbre
dragonne se consumait ainsi d’ambition. Elle ne rêvait que de sa future
consécration, du jour où Osamodas l’accepterait comme un dragon de
premier ordre. Pour cela, elle était prête à tous les efforts, à tous
les sacrifices… Mais rien n’y faisait, elle ne parvenait pas à s’attirer
les grâces du Dieu. Cette dragonne est aujourd’hui connue sous le nom
de Crocabulia.
Ces échecs n’étaient toutefois pas sans raisons…
La dragonne avait en effet un grave handicap, pour qui prétend accéder à
un tel rang dans l’échelle de mérite draconique. Elle était incapable
de se refuser à un dragon, pour peu qu’il eut un minimum de grandiose,
ce qui n’était pas bien dur pour ces créatures.
Quand Crocabulia
se laissa prendre par les apparats séducteurs de Gragoularasalar et
donna naissance à leur fils, Crocoburio, Osamodas détourna le regard et
lui accorda une dernière chance de prouver sa valeur.
Peut-être
aurait-elle connu plus de réussite par après si elle n’avait pas
succombé au vice une seconde fois. Toujours est-il que, malheureusement,
elle a une nouvelle fois fait preuve de faiblesse. Croulaklakoss,
grand dragon blanc et rival de Gragoularasalar devant l’Eternel, séduit
à son tour Crocabulia puis s’en détourne pour vaquer à des occupations
plus grandioses.
Crocabulia, bafouée, sentait le regard sévère
d’Osamodas et implora son pardon. Le Dieu, exaspéré par cette dragonne
aussi insistante que volatile, concéda finalement à lui proposer un
marché.
« Une nouvelle race éclot en ce moment-même, souffla le
dieu à la dragonne, mais elle est encore fragile et vulnérable. Il leur
faut un protecteur, un gardien pour leur sanctuaire. Charge-toi de leur
protection pour les temps à venir, prouve- moi ta valeur en
remplissant cette mission, et tu pourras prétendre faire partie de
l’élite draconique, devenir l’égale de Spiritia et de ses frères. »
Ces
mots ont été rapportés de générations en générations, puis de sages en
sages, d’aventuriers en aventuriers. Nul ne sait s’ils ont été ainsi
prononcés un jour, ni même si des mots approchants on véritablement été
dit. Qui aurait pu comprendre le parler dragon, d’ailleurs ? Mais
l’histoire, elle, est réelle.
Sans y réfléchir plus d’un instant, Crocabulia accepta, trop soulagée qu’Osamodas lui propose ce rôle inespéré.
Prudent
dans sa confiance, le Dieu préféra tout de même s’assurer que la
dragonne resterait concentrée sur sa mission pour les très longs temps
qui viendraient. Ainsi, il retira les deux rejetons de Crocabulia à leur
mère dès leur naissance et les plongea dans un profond au sommeil,
enfermés dans une salle cachée sous le Sanctuaire que devrait protéger
Crocabulia. Ils ne pourraient se réveiller que bien plus tard, lorsque
la mission de la dragonne serait terminée et que la race naissante des
Dragoeufs serait arrivée à maturité.
Crocabulia eut tout de même le temps de donner un nom à ses enfants avant d’en être privée : Grozilla et Grasmera.
Des hommes trop vaniteux
La suite de leur histoire se déroule bien plus tard, sans que cela soit toutefois assez proche pour être daté.
Au
sud de la florissante Amakna, sur une presqu’île jadis paisible, le
bastion de la civilisation humaine se trouvait au cœur d’un charmant
petit village. Les érudits et les livres lui donnèrent bien plus tard le
nom de « Village Primordial ».
En ce temps, tous les hommes
étaient férus de science, de magie et de découvertes à la fois. Ils
portaient un amour inconditionnel à la connaissance, et vivaient cet
amour avec respect. L’historo-dofuso-érudit Panglauce écrivit d’ailleurs
à propos de cette époque que « tout allait pour le mieux dans le
meilleur des mondes ».
Tout commença à aller plus mal que mieux
lorsque, par le plus fortuit des hasards, un habitant découvrit l’entrée
d’une caverne jusque là inconnue juste au nord ouest de leur village.
Comment avaient-ils pu ne pas la remarquer plus tôt ? Ils étaient trop
impatients de l’explorer pour se poser ce genre de questions.
Une
première expédition fut lancée au cœur de la grotte, et ils ne
tardèrent pas à tomber nez à nez avec des créatures aussi
impressionnantes qu’inconnues. Les hommes avaient découvert l’existence
des Dragoeufs. Le temps passa et les expéditions se succédèrent, au
cours desquelles les hommes étudiaient cette nouvelle race avec
curiosité et respect.
Le contact prolongé avec cette race si
proche des dragons fit malheureusement naître de bien sombres idées dans
les esprits de quelques savants de moins en moins scrupuleux.
Progressivement, un horrible projet se mit en branle : créer un élevage
de Dragoeufs et pratiquer des expériences sur eux pour créer de toutes
pièces un nouveau Dofus.
Doux en apparence, ne brutalisant
jamais les créatures, ces hommes réussirent à tromper la méfiance des
Dragoeufs et la vigilance de leur protectrice. Pendant des années et des
années, ces expériences perdurèrent, toujours infructueuses. Jusqu’au
jour où…
Par un malheureux tour du sort, une Dragueuse pondit un
œuf écarlate, plus solide que les autres. Rapidement, les hommes
réalisèrent qu’il ne s’agissait pas d’un œuf commun, et qu’il recelait
d’une puissance rare. Ils s’en emparèrent et rejoignirent le village
primordial avec leur trophée.
Pour la première fois, les
Dragoeufs devinrent agressifs, ne supportant pas qu’on leur vole cet œuf
unique. Ils se rebellèrent et s’attaquèrent aux hommes. Paniqués, et
pas guerriers pour deux kamas, ceux-ci prirent la fuite et condamnèrent
l’entrée du Sanctuaire. Dans l’espoir de camoufler à jamais leur vol et
de se protéger de la vengeance des Dragoeufs, ils construisirent même
un temple juste au dessus.
Deux réveils, une vengeance
Des
mois durant, leur crime resta impuni. Mais Osamodas, qui était occupé
ailleurs, finit par entendre parler de ce qu’il s’était passé. Révolté,
le Dieu entra dans une rage folle et en conclut que les hommes
devaient être punis.
Osamodas se rendit au cœur du Sanctuaire des
Dragoeufs dans la salle que lui seul connaissait et y retrouva
Grozilla et Grasmera, toujours endormis, mais devenus bien grands. Il
les réveilla et les libéra de leur prison.
Les deux frères,
informés de la situation par le Dieu, gagnèrent les étages supérieurs
du Sanctuaire pour y retrouver les Dragoeufs enfermés. Sans attendre,
d’un commun accord avec leurs cousins, Grozilla et Grasmera forcèrent
la sortie du Sanctuaire, transperçant le sol du temple Kanojedo
construit au dessus.
Les deux Dragons et les Dragoeufs sortirent
donc pour la tout première fois hors de la caverne et découvrirent la
lumière du jour. Ils n’eurent cependant pas le temps de s’extasier :
ils avaient des hommes à écraser et un œuf à retrouver.
Le
massacre fut sans commune mesure. Le village primordial fut
littéralement anéanti, et les quelques seuls survivants durent prendre
la fuite vers le Nord d’Amakna.
Une fois la bataille terminée et
les derniers hommes chassés, Crocabulia sortit de son antre pour la
première fois depuis des éons. La dragonne rejoignit ses fils au milieu
des restes du village, où ils l’attendaient avec l’œuf écarlate. Elle
le prit dans ses griffes et, sans s’attarder, regagna le Sanctuaire.
Depuis, elle le protège férocement, tapie au fond de son donjon.
Les
quelques survivants du village primordial marchèrent donc vers le
Nord, jusqu’aux limites de la Montagne des Craqueleurs. Là, ils
fondèrent un nouveau village, qui prospérera bien plus longtemps que le
premier.
Une partie des Dragoeufs, ayant pris goût à la lumière
du jour, élit domicile sur la presqu’île qui porte désormais leur nom.
La race des Dragoeufs s’est alors divisée en deux branches restées
très proches, ceux de la surface et ceux qui continuèrent à vivre dans
le Sanctuaire.
Grozilla et Grasmera, eux, sont redescendus dans
les tréfonds du Sanctuaire, là où nul Dragoeufs ni quoi que soit
d’autre n’ose se rendre. On n’en a ensuite plus entendu parler pendant
très, très, très longtemps.
Aujourd'hui ils vivraient apparement sur l'ile de Vulkania.
[HRP : Credits Ankama Games]